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Ode à tricky (petit chaman)

Publié le par stephane nicolas

Ode à tricky (petit chaman)

 

Une lumière rouge, diffuse, et qui vient par en-dessous, nébuleuse, avec partout autour, les ténèbres ; et parmi ces ténèbres, une foule d’inconnus, qui bougent, ondulent, soumis au rythme, ainsi qu’à sa seule présence en ces lieux. C’est à lui seul qu’ils doivent d’être tous ici, réunis, eux que ne le sont que rarement ; eux qui ne le sont jamais.

            Lui est là, quelque part, déjà habité par d’autres esprits. Il enlève un sweat informe, le jette dans un coin. Il arrive comme sur un ring. Son crâne chauve, ses bras couverts de tatouages, sa peau mate : c’est un combattant ; à sa manière. Déjà il roule des épaules, tire sur un t-shirt trop long, comme choisi justement pour ça. C’est d’abord une présence qui appesantit l’air de la salle. Et ses yeux… ses yeux savent quelque chose…

            Il ne les regarde pas. Il ne les regardera pas. Ce qu’il cherche est ailleurs que dans cette foule. Eux ne voient déjà plus que lui. Ils sont trois pourtant. Mais il est seul. Et il n’y a que lui. On entend une bande-son en sourdine qui se perd dans l’attente, un raga lointain et entêtant. Il leur tourne le dos. Ses épaules se soulèvent, dessinent une courbe subtile, entrainent ses bras, comme un serpent sur son dos. Il tire sur un joint. Et il en a besoin pour ce qu’il a à faire. C’est sur son contrat d’ailleurs : douze milles euros et un sachet de marijuana. Sans cela il ne vient pas. Le type de la salle, il n’a jamais vu ça et ne sait pas comme il va le faire passer sur sa note de frais.

            Brusquement, il y a quelque chose d’aiguisé qui se promène dans les airs ; ceux qui sont là le sentent, même ceux qui mentent à ce sujet, qui colportent la rumeur qu’il est programmé à cette heure-là pour qu’il soit encore en état.  La vérité c’est qu’aucun d’entre eux ne ferait le poids. Ils le savent. C’est pour cela qu’ils profitent de l’obscurité, de l’anonymat de la foule pour se venger. Ils se vengent par avance, de leur petitesse. Et cette lame tendue vers eux circule comme un effluve entre leurs corps, rôdeuse, évanescente, elle les frôle de si près que parfois ils peuvent sentir son contact glacé, et leur peau se peuple alors de doux frissons.

            La foule est étrangement calme, mais un calme électrique, avec quelques crépitements qui claquent parfois par endroit. Elle attend. 

            Il est debout, de dos. Le raga s’élève. La lumière jaillit, puis le son, le sien, imprévisible comme un uppercut, le synthé, puis les coups sur la grosse caisse, clairs, d’une puissance saisissante ; et le ton est donné, les harmoniques s’envolent et saisissent tout le monde, l’instant, tout, et ne laissent aucun rescapé. Et les voilà déjà où ils ne se seraient jamais rendus sans lui. Suivant l’indication de son doigt tendu vers elle, la guitare arrive enfin, fait corps avec l’onde qui existe, la gonfle à ce point qu’elle pourrait explosée. Elle vient là sceller ce monde qu’ils viennent à peine de pénétrer.

            Il entre en danse comme on entre en trance : en déjouant la rationalité et l’obsession du contrôle de sa conscience ; il est imprégné par ce qu’il dégage. Il a le microphone collé sous son t-shirt, planté sur sa poitrine, devenu capteur des perceptions de son cœur. Il leur fait face, mais ne les regarde toujours pas. Hummmm… Hummmm… La batterie roule, comme le ferait une vague parfaitement lisse, la guitare égraine le temps de sa mélodie viscérale, hummmm…. Hummmm…. Joue à la basse, en donnant du grave ; on est au milieu de la nuit, on est perdu sous la canopée de forêt amazonienne, dans le désert d’Atacama, on est sur les cimes, les plateaux mexicains, et les refrains vocaux de son cœur sont ceux des esprits qui approchent, hummmm…. Hummmmmm…. La nuit nous enveloppe si profondément que l’aube ne nous appartient plus, et le son s’y mêle comme à une encre, et puis, tout-à-coup la guitare s’envole et il hurle, ça devient frénétique, absolu, comme une montée de Peyotl, psalmodie, hummm….  hummm… Et puis ça redescend, et il s’assoie sur le bord de la scène, comme s’il se désintéressait de nous, mais ce n’est pas cela. Il nous ouvre, ouvre notre perception, cette petite lucarne, jamais suffisamment grande, il l’ouvre à ce qui doit y entrer, à l’énorme panse de la nuit. Et dans son silence, la musique s’installe différemment. Elle nous pénètre. Délivre son secret. Hummmm…. Hummm….. et c’est reparti, et cela dure comme cela, toute la nuit, hummmm…hummmm…. Le roulement, la guitare, le chant, la danse, le combat invisible auquel il se livre…. Hummmm….. hummmmm….

 

Petit chaman

 

Cette chanson s’appelle Vent.

 

Comment aurait-il pu en être autrement ?

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