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Obsession

Publié le par stephane nicolas

Obsession

La photographie





A nouveau
il n'avait plus une flèche en poche
et se retrouvait contraint de filer uptown entre midi et deux
pour rejoindre un de ces écrins résidentiels
qui pousse comme de la mauvaise herbe autour des villes

C'était une constellation délirante
de maisons phalliques
à l'aspiration
centralisée
et au frigo 
américain.

Sur sa veille vespa blanche
il parcourait des allées poétiques
Rue du champ des fleurs
au 18
c'est là qu'il s'arrêta.

La maison était compliquée
et la sonnette l'était tout autant.

La fille qui ouvrit la porte avait une mère
qui ne tarda pas à pointer son nez
pour savoir à qui elle allait confier sa fille.

Salle de bain dans la chambre
verrière qui donne sur la fenêtre du voisin
le tout fait au moins trente mètres carrés
- soit plus la moitié de son appartement à lui -
Sur le bureau, trône un Mac Machin large comme un terrain
de tennis
Son avenir est déjà bardé de balises phosphorescentes
qui doivent la conduire jusque dans une école de commerce prépayée par un père
qu'elle ne voit qu'une semaine sur deux.
La petite n'en sait rien quand elle lui dit qu'elle a été « admise ».
Il ne lui reste plus qu'à décrocher son bac
ce qui, de ce qu'il peut en juger, pourrait bien s'avérer aussi ambitieux que de décrocher la lune.
C'est une tranquillité qui ne s'achète pas.
Pas encore. On paye, mais il reste tout de même une part d'incertitude.

Plus tard, pendant qu'elle barbouille une feuille d'équations
imaginaires
en lui lançant à intervalles réguliers
des regards de rongeur apeuré
il découvre l’impressionnant complexe mural de photographies 
punaisées devant lui.
Un mural qui porte un nom :
ADOLESCENCE

Une d'entre elles attire son regard.
Il la voit plus jeune dévaler une cascade
sur une reproduction en plastique de ce qui se veut être une bûche.
Parmi ces visages
figés dans une expression d'horreur incontrôlée
il y en a un qui qui ne semble pas subir le même traitement
et nargue d'une moue arrogante
le danger
artificiel.

Comme un secret à percer
celui qu'il imagine être le père
l'obsède.

Il veut comprendre de quel insondable trou noir
il tire cette confiance en lui
comment il nie la chute vers laquelle il se dirige
alors que tout ici-bas nous invite à douter de nous-même.


L'argent, conclut-il,
l'agent permet cela.

Mais il cherche une preuve dans ces mains
qu'il se trompe, que ce n'est là qu'une façade
arrangée pour le regard des autres.
Il sait ce qu'un visage peu dissimuler
là où des mains, elles, ne peuvent mentir.

Mais dans cet enchevêtrement de membres
il ne parvient pas à retrouver les siennes
qu'il les maintiennent en l'air
où qu'elles s'accrochent fermement à la rampe.

Il sent déjà la succion visqueuse du temps
collée à lui
des heures et des minutes qu'il va devoir passer ici
sanglé à cette chaise
devant cette photographie
avec en tête cette unique question :

Où sont passées ces putains de mains ?

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